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  • Photo du rédacteurValentine Quiniou

Interview : le métier d'Avocat, agent d'artistes

Le métier d'avocat renvoie à de multiples réalités. Depuis le 26 janvier 2017, l'avocat peut également être mandataire d'artistes et d'auteurs soit "agent d'artistes". Découvrons la réalité de ce métier au détour d'un dialogue avec Maître Virginie LAPP, aux côtés de Maître Sèverine Audoubert.



Quelques éléments de contexte préalables



Le 26 janvier 2017, une mention à été intégrée au Règlement Intérieur National de la profession d'avocat (RIN). L'article 6.3 du RIN prévoit désormais que :


"L’avocat peut exercer une activité de mandataire d’artistes et d’auteurs. Cette activité doit être pratiquée aux termes d’un contrat et constitue pour l’avocat une activité accessoire".


Cette activité est elle-même définie par l'article L7121-9 du Code du Travail :


"L'activité d'agent artistique, qu'elle soit exercée sous l'appellation d'impresario, de manager ou sous toute autre dénomination, consiste à recevoir mandat à titre onéreux d'un ou de plusieurs artistes du spectacle aux fins de placement et de représentation de leurs intérêts professionnels".


Dialogue avec Maître Virginie Lapp et Maître Sèverine Audoubert





Présentation


Maître Virginie LAPP est Avocat au Barreau de Paris, Mandataire d’Artistes et d’Auteurs, Responsable de la Sous-Commission Ouverte du Barreau de Paris AMAA x Nouveaux Métiers.

Ces propos ont été recueillis avec Maître Sèverine Audoubert, Avocat au Barreau de Paris, Responsable de la Commission Ouverte “Nouveaux métiers” du Barreau de Paris et Valentine Quiniou, Eleve-Avocat.


Première partie : A propos de l'ouverture du métier d'agent artistique aux avocats





Depuis que vous êtes Avocat Mandataire d’Artistes et d’Auteurs (ci-après

AMAA), qu’est-ce qui a changé concrètement, vu au quotidien ou de façon

ponctuelle ?


"J’ai vu une évolution, depuis la réforme du statut d’agent.


Avant on était AMAA sans que ce soit nommé mais on le faisait : négocier un contrat pour un artiste et l’accompagner dans différentes phases de son contrat, de sa carrière : on le faisait mais sans avoir cette casquette d’AMAA.


Le rapport Darrois (2009) qui a ouvert les esprits et nous a mis sur la piste d’aller de l’avant dans notre activité car c’est comme dans tous les métiers si on marque le pas à un moment c’est terminé, vous êtes hors jeu. Les avocats ont souvent loupé le coche de certaines choses.


Il y a eu la suppression de la liste : on ne pouvait pas être agent et avocat en même temps : le Barreau de Paris s’est énormément intéressé à cet aspect des nouveaux métiers de l’avocat. Il y a eu une conférence à Montpellier en octobre 2012 sur les nouveaux métiers, animée par Basile Ader (membre du conseil de l’ordre avant de devenir vice-bâtonnier en 2018/2019) et Virginie LAPP un atelier sur le métier AMAA. Au retour, Maître Basile Ader a créé la Commission.


Au plan européen, la Directive Services du 12 décembre 2006 a bousculé le métier d’agent en France, aboutissant à la loi de 2013 qui régit la profession d’agent (suppression liste, rémunération etc) : un mouvement d’ouverture un peu global comme pour les avocats mandataires sportifs par exemple, le moment était venu de se moderniser un peu.


À partir du moment où on a mis un nom sur ce métier, on s’est sentis plus libre de l’exercer ouvertement et officiellement, sans les restrictions habituelles, notamment l’activité commerciale accessoire etc (article 6 du RIN).


Il y a eu un réel changement dans notre approche et notre façon d’exercer ce métier. Il faut donner un cadre aux choses, à partir du moment où on a un cadre on arrive à évoluer."


La déontologie peut-elle être votre meilleure alliée dans vos rapports avec l’artiste ?


"Elle est notre meilleure alliée dans l’audit qu’on fait nous-mêmes de ce qu’on est amenés à réaliser. En ce sens là, elle est vraiment le point de repère, le fondamental auquel on revient tout le temps.


L’agent est dans le conflit d’intérêt permanent, d’autant qu’il est souvent aussi bien l’agent

du producteur et de l’artiste : chez nous c’est impossible, on ne peut pas représenter deux parties en même temps.


À chaque fois que je suis allée négocier un contrat dans une maison de disque, et que je

m’entendais bien avec le service juridique qui m’appelait et voulait me confier un référé,

c’était me donner un sucre pour que je ne puisse plus jamais les assigner un jour : j’ai

toujours refusé. Il y a des confrères que ça ne gêne pas. Je ne dis pas pour autant que

j’assignerai la maison de disques si mon client a un problème avec elle, mais au moins

j’aurais toujours gardé la neutralité qui doit être la mienne, j’aurais jamais profité d’une

double situation. Je considère que ça ne nous laisse plus libre de décrocher notre téléphone et de dire que l’exécution du contrat ne se passe pas telle qu’elle devrait se passer."


Comment réagissent les acteurs du métier par rapport à cette nouvelle

casquette, est-ce qu’il la connaissent déjà étant donné qu’elle est assez

récente, vous différencient-ils bien de l’agent artistique ?


"De l’expérience que j’en ai, j’ai toujours été très bien accueillie. J’ai même l’impression qu’ils préfèrent avoir un avocat en face d’eux qu’un agent. Ils connaissent ce nouveau métier : les gens qui ont une culture anglo-saxonne notamment les grands acteurs, donc l’entertainment lawyer pour eux c’est une évidence. Ils ne comprennent même pas pourquoi sur des gros contrats, un agent serait là.


J’ai rencontré des difficultés bien sûr, souvent avec l’entourage de l’artiste ou pour

concrétiser des deals, mais de la façon dont nous, les avocats mandataires sommes perçus, j’en ai une très bonne impression. Même si parfois on arrive dans la fosse aux lions, c’est souvent beaucoup moins difficile de dialoguer directement avec les décideurs dans les grandes sociétés de divertissement qu’avec leur avocat."


Deuxième partie : Les particularités du métier d’AMAA (liens avec le client, rémunération)





Quelles sont pour vous les précautions à prendre du fait de la sensibilité de l’artiste et vis-à-vis de son entourage ?


"L’entourage est une très bonne question : l’entourage veut toujours être au courant de tout.


Or, lorsqu’on est l’avocat d’un artiste, on est pas l’avocat de sa femme, on est pas l’avocat

de sa maison de disque.


C’est très délicat à manier : la notion de déontologie et de secret professionnel peut être

prise comme une hostilité et donc il faut être extrêmement prudent dans la façon de gérer la transmission de l’information.


La règle d’or est : on donne l’information à l’artiste et il la diffuse comme il veut. Par contre

on ne lui cache rien. Cad si on a une mauvaise nouvelle (et c’est toujours très difficile de leur annoncer une mauvaise nouvelle parce que ce sont des gens à la sensibilité exacerbée) : on ne la garde pas sous le coude, on prend sur soi et on annonce la mauvaise nouvelle avec délicatesse.


S’il nous dit « informe un tel, fais ci fais ça » on le fait, mais sinon il faut être extrêmement

prudent des communications que l’on a avec l’entourage de l’artiste. C’est toujours très

familial, très cordial, très amical jusqu’au jour où ça explose.


Il faut effectivement être prudent, mais c’est vrai que la déontologie et le secret

professionnel peuvent être très mal vécus par l’entourage."


C’est ce que je trouve beau dans le métier d’avocat, on peut les accompagner

pleinement et être un réel soutien pour l’artiste s’il en a besoin.


"Quand il a un soucis, l’artiste sait qu’il peut nous appeler et qu’on va le résoudre, on les

accompagne dans tous les aspects de leur carrière et finalement un peu de leur vie car nous avons du mal à séparer l’artiste de l’homme ou de la femme, et je pense que pour eux c’est rassurant autant pour des projets ambitieux que lorsqu’il y a des difficultés. J’ai le souvenir d’un artiste qui a perdu son manager dans un accident tragique et devait jouer le soir même, nous n’étions pas dans le cadre des clauses d’assurances de décès d’un proche. Grâce aux contacts que j’avais, grâce au producteur de ce spectacle, on a réussi à régler les choses en très peu de temps, ce qui était efficace. C’est-à-dire que, je crois que c’est propre au métier d’avocat, on se sent utile.


On a la chance de l’être quand on les connaît au tout début, quand la carrière explose,

quand il y a des coups de mou et puis ça repart : c’est un parcours qu’on mène avec eux,

c’est intéressant. On sent qu’on est une personne de confiance, on a lié des liens humains

plus qu’un professionnel classique.


Mes clients sont des gens qui travaillent tout le temps, énormément : quand il y a des

rendez-vous je vais les voir sur leur lieu d’enregistrement ou de tournage, ou de répétition etc : comme ça je suis dans l’atmosphère de ce qu’ils font, ce qui leur démontre que je m’intéresse à ce qu’ils font et ça permet de nouer des liens. Je ne compte pas mon temps : s’il faut que j’attende 4h parce qu’une répétition a pris du retard, j’ai mon ordinateur avec moi, je fais autre chose mais j’attends les 4h sans mécontentement.


Je vais beaucoup vers eux pour leur simplifier autant que possible la tâche, de même que pour l'administratif, pour tout ça j’essaie de simplifier autant que possible. Je ne leur

demande pas de relire ligne à ligne une assignation de vingt pages : je leur explique.

Mais ils sont au courant de tout : ils comprennent très vite, ils ont un instinct et on sent qu’ils ont tout compris, ce qui est assez fascinant. Si dans le contrat il manque une virgule ; c’est ça qu’il va voir. Ce sont des gens qui ont une grande acuité, ceux qui réussissent sont des perfectionnistes et quand on l’est pour apprendre un texte on l’est pour autre chose. Également, il m’est arrivé quelquefois qu’il y ait un chiffre inexact sur un contrat de 25 pages, elle ou lui le voyait et moi je ne l’avais pas vu : ça rend humble aussi. L’humilité c’est très important."


La rémunération peut venir de l’artiste ou de son producteur, à titre personnel

j’imagine que vous préférez que ça vienne de l’artiste directement ?


"En général oui, mais ça dépend. Je pense que c’est important qu’il y ait un récapitulatif de diligences et une note d’honoraires mais ça peut être le producteur qui me rémunère pour le compte de l’artiste. Par exemple, si l’artiste a une avance de 50 000€ et que mes honoraires sont de 4 000€, lui n’aura plus que 46 000€. Je ne tiens absolument pas à me faire rémunérer en plus par le producteur.


En général les artistes préfèrent pour des questions de comptabilité, fiscalité, déductibilité de leurs charges avoir ma note d’honoraires et je trouve que c’est plus simple. Il est rare que je sois rémunérée par un tiers.


Concernant les 10%, l’avocat peut être rémunéré à hauteur de 10%, est-ce que des avocats prennent un peu moins ou le pourcentage reste fixe ?


"Cela dépend : quand vous faites un simple contrat d’artiste interprète et que pour son rôle il va gagner 200 000€, il est impensable qu’un tel contrat coûte 20 000€ : c’est du cas par cas, en fonction de la valeur ajoutée de l’avocat que les 10% se justifient ou non, en fonction des contrats, de la convention d’honoraires. Et puis le mandat entre l’artiste et l’AMAA : bien vérifier s’il a une société, si c’est lui à titre personnel : faire un checkup des points de vigilance techniques est absolument indispensable."


Troisième partie : La réalité du métier d’AMAA et les évolutions récentes (technologiques, crise sanitaire)





Quels sont les secteurs dans lesquels vous agissez en qualité de AMAA ?


"Ce sont principalement ceux de la musique et du cinéma, mais il y a aussi le théâtre, la

télévision et maintenant les plateformes puisque les salles sont malheureusement fermées.

Il y a une évolution et des sociétés telles que Netflix, Amazon, Disney deviennent des vrais producteurs de films. On n’aurait jamais pensé cela il y a 10 ans, mais ils deviennent

maintenant les interlocuteurs, avec une toute autre forme de contrat à négocier notamment pour Netflix où il n’ont pas cette notion de droit d’auteur et de cession limitée dans le temps ; où vous cédez vos droits à vie si vous ne voulez pas être obligés de mener une sacrée bataille. Ils ont une politique mondiale et ne veulent pas y déroger."


Ce qui se passe avec la covid a accéléré ce virage, pensez-vous qu’on pourra

revenir en arrière ?


"Je pense très sincèrement que les deux pourront coexister, les salles et les plateformes. La télévision n’a pas tué le théâtre à l’époque, mais je suis peut être une optimiste désespérée. J’ai espoir que les deux peuvent coexister, les gens auront toujours besoin d’aller dans une salle de cinéma pour partager un moment ensemble. C’est une expérience tout à fait différente pour l’utilisateur. Il y a un rituel : les glaces, les popcorns..."


Côté AMAA, qu’est-ce qui évolue depuis la crise sanitaire de 2020 (négociations différentes, etc) ?


"On passe plus de temps à se battre avec ou contre les compagnies d’assurances ; depuis la période Covid, on passe du temps à aider nos clients à remplir des dossiers de subventions. C’est vraiment une époque depuis 1 an où le métier est très différent, il y a quelques projets qui se font mais le reste on est vraiment dans l’accompagnement de nos clients pour qu’ils arrivent à tenir la tête hors de l’eau. Il est important d’être là aussi. Ça pose une question éthique : des gens qui nous ont fait vivre pendant 10 ou 15 ans, je pense notamment à des petits théâtres, ce n’est pas maintenant qu’on va facturer des heures et des heures même si on y passe réellement des heures et des heures. Il faut être solide, je ne dis pas qu’il faut travailler gratuitement mais qu’il faut arriver à s’adapter : dans tout ce métier d’AMAA je pense que tout est une question d’adaptation tout le temps. En ce moment ce n’est pas très marrant, on est plutôt dans une situation où on essaie de sauver les entreprises."


Par rapport à cette latitude nécessaire des domaines de compétences, et plus

spécifiquement du droit du numérique : on parle désormais de Blockchain, qui

apparaît comme un espoir pour certains artistes notamment au sujet de la

rémunération, ça rentre dans l’adaptation : on doit s’adapter à ces nouveaux outils, à leur intégration dans le droit, leur traitement et même faire évoluer les choses.


"Oui savoir comment faire des contrats et ce que vous dites est très juste : c’est faire évoluer les choses. C’est comme les bagarres menées pour que Youtube accepte de donner un CA pour rémunérer les artistes, auteurs. L’arrivée de Netflix en France a quand même été un séisme même si on s’y attendait : entre s’y attendre et le vivre il y a un décalage. Il y a des signaux à bas bruit : il vaut mieux arriver à anticiper un peu et si c’est intéressant, réussir à mettre certains de vos clients dans la boucle : se positionner très vite, pour se dire que dépendamment de la typologie de votre client : pour lui, c’est là qu’il faut aller.


Cela suppose aussi de connaître les intervenants. Ça c’est un point très important de ce

métier : c’est à la fois connaître le métier et connaître les intervenants ; pouvoir décrocher

son tel et faire du relationnel ,ce qu’on ne faisait pas en tant qu’avocat traditionnel : du

placement d’artiste jamais de la vie en tant qu’avocat à l’ancienne, avant 2012, ce n’était pas du tout dans nos réflexes. Se sentir libre de le faire sans être borderline, sans cadre."


C’était impensable avant qu’ils soient entrepreneurs comme maintenant, il y en a de plus en plus qui veulent absolument tout gérer, j’ai participé à des conversations très intéressantes avec des artistes qui parlaient entre eux de tous les aspects juridiques, c’est une évolution remarquable.


"Oui vous avez raison ils sont devenus des entrepreneurs, alors qu’il y a 30 ans ils faisaient

confiance à un manager qui gérait tout et ils se rendaient compte 15 ans plus tard qu’ils

avaient donné tous leurs droits : l’exemple de l’ancienne génération : Coluche, Les

Inconnus.


Il y a une chose qui est difficile mais je pense qu’elle l’est dans tous les domaines et avec

tous les clients : la justice n’est pas juste. Ils le prennent encore plus mal en tant qu’artistes, on en revient à cette sensibilité exacerbée. Et puis aussi le temps : ils ont beaucoup de mal à concevoir le temps judiciaire : pour eux une tournée ça dure un an, ils ne sont pas dans la même temporalité, du tout. Alors qu’une décision de première instance c’est 24 mois, ça leur paraît une éternité. C’est l’aspect le plus difficile du métier : pour un artiste quand on est obligés d’assigner. Comme on ne sait jamais ce qui sort du chapeau du juge, cet aspect m’angoisse le plus avec la préparation du dossier, la plaidoirie et l’attente du résultat. C’est très difficile. Si on décide d’assigner c’est qu’on pense qu’on a de grandes chances d’assigner, sinon on essaie de transiger même mal. C’est très difficile pour moi de vivre ce suspens et de ne pas savoir ce qu’il va donner.


Le rapport entre les artistes et les juges est parfois assez compliqué, dans le contentieux qui concerne leur carrière.


Pour conclure, comment voyez vous l’évolution de ce métier notamment par rapport aux nouveaux outils tels que la blockchain ?


Je pense qu’il faut qu’on soit créatifs, parce qu’il y a toute une série d’outils, d’instruments à mettre en place, exactement ce que vous décrivez, et on a quand même un avenir où on est les mieux placés pour réfléchir à ça. Il y a une grande partie de juridique, je pense très sincèrement qu’il y a là un train à prendre en marche et que ça mériterait de s’y consacrer pleinement.


Auteur : Valentine Quiniou

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